René DEROUDILLE
BIOGRAPHIE ET CRITIQUES
Olivier CLEMENT

Gilles Alfera nous offre une peinture à la fois sobre et colorée, porte ouverte sur l'univers du spirituel. II se place volontiers dans la continuité des millénaires d’œuvres d'art qui le précèdent et qui expriment l'invisible par des thèmes et des formes symboliques.
Depuis toujours, l'être humain cherche à représenter par des symboles ce qui le dépasse. Se nourrissant de l'évangile, Gilles, que nous avons découvert au printemps par la Maison du cèdre, reprend cet art symbolique à son compte tout en l'adaptant à une forme contemporaine où il marie les exigences de la dimension symbolique et spirituelle au plaisir des yeux. Le résultat est une simplicité alliée à une force extrême.
La chambre de la Présence
En 1973, par la lecture d'un livre sur la "Prière du cœur » chère à l'Église d'Orient, Gilles retrouve sa foi. Depuis, les thèmes et symboles de ses tableaux proviennent de sa méditation, comme la Coupe, la Croix, le Tabernacle... Dans l'une de ses oeuvres, La Chambre Haute (cf ci-contre), nous sommes d'abord attirés par le chatoiement des couleurs, l'harmonie des formes et de la construction qui conduisent à une paix intérieure. Tout est prêt, nous dit Gilles, la chambre est bien ordonnée pour accueillir la Présence. Ce thème de la paix est repris au centre du tableau par une strophe du cantique de l'âme de « La Nuit obscure » où saint Jean de la Croix écrit notamment ces vers : Je sortis sans être vu tandis que ma demeure était déjà en paix. Cette Paix dans la demeure intime du cœur est celle qu'offre le Christ quand il se donne en instituant l'Eucharistie dans la Chambre Haute, le Jeudi Saint, en ouvrant cette communion à la Présence. Nous accueillons l'hostie bien souvent dans la nuit de la foi, avec une connaissance du cœur profond qui dépasse le simple sentiment ou la simple certitude rationnelle...
Ce règne et cet ordre institués dans notre demeure est le fait du Christ dans sa royauté, le Christ Cosmocrator, " l'ordonnateur" de toute chose dans l'espace et dans la vie. Il est traditionnellement appelé "le Roi des rois régnant sur les régnants" que le Grec traduit par Basileus basileon basileuon, basileuousi. L'iconographie médiévale évoque cela par quatre B que l'on retrouve aussi dans les pièces de monnaie des XVème et XVIème siècles en Espagne. Les quatre B sont souvent associés aux cinq plaies du Christ : quatre points angulaires et la plaie cordiale au centre. Nous retrouvons ici cinq carrés qui logent dans le carré de la chambre haute. Le carré est une figure du Tabernacle. Le triangle bleu renversé, inscrit sur le toit, est le sceau de l'Alliance. L'axe vertical gris, plus large en haut qu'en bas, va de ciel en terre, traduisant les grâces divines qui descendent s'incorporer à notre terre...

L'Arche est un thème également fréquent dans l' oeuvre du peintre (cf p. 68). Comme la nef, le pont ou l'arc-en-ciel, elle assure le passage d'un moment à un autre de l'histoire, du paradis terrestre des origines (cercle) à la Jérusalem céleste (carré). L'Arche assure le passage du dépôt spirituel.
L'artiste a un sens de la couleur et se dit volontiers coloriste : Je fais ce que mon œil me recommande. IL ne s'attache pas particulièrement aux symboles des couleurs, sauf ici pour la nef où se superposent les six couleurs de l'arc-en-ciel ou pour le symbolisme du clair et de l'obscur du fond du tableau où le bleu foncé et le bleu clair signifient respectivement le monde terrestre et le monde spirituel. La couleur, on ne la commande pas, c'est la personnalité de l'ar­tiste, une disposition intérieure dite par la couleur qui est irréfutable !
La construction générale du tableau est cruciforme (horizontale/verticale). L'Arche est cette coque qui peut aussi représenter un calice. Elle est comme plantée sur le Mont Golgotha (en vert) où se trouve une serrure, lieu de la clef qui nous ouvre au mystère. L'Arche contient, maintient et porte l'autel (carré) gui est dans l'axe vertical de la volonté du ciel. L'autel est ce lieu de la Présence, de l'Eucharistie.
L'art de Gilles Alfera naît de la contemplation et de l'attention au travail bien fait. Le théologien orthodoxe Olivier Clément relève dans la démarche de Gilles, commune à tous les arts et métiers des civilisations a traditionnelles », la dimension du silence, de la lenteur, de la contemplation et du mystère dans la densité même des choses. Gilles nous dit prier la "prière de l'artisan" qui est accrochée au mur de son atelier : Je m'applique à la lire lentement quand je me .sens trop distrait, trop loin du travail. Je tâche d'être intérieurement le plus "nu" possible pour me rendre disponible à l’œuvre...
L'art de Gilles vient de la prière et ne cherche pas la copie exacte de ce qu'il voit, ni la beauté pour la beauté. L'art de la Renaissance par exemple, malgré des intuitions techniques géniales, est un art avec trop de descriptifs, un art pour l'art où la dimension religieuse perd de sa profondeur. Son art ne veut pas être non plus une manière d'algèbre où l'on juxtapose des signes et où la peinture devient sans vie, hermétique à celui qui ne possède pas les « clefs » de compréhension symbolique de l’œuvre. La clef majeure est l'émotion que le spectateur éprouve.

Frère Bernard - in: Feu et Lumière N°