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Dans le commencement
(cela passe le sens)
là jaillit le Verbe
trésor inépuisable
aurore de l’aurore !
Ô le cœur d’un tel Père
qui de sa propre joie
tire le flot du Verbe
mais Le garde en son sein
ce Verbe ! ô vérité !

Des deux se noue un fleuve,
où coule amour et feu
formant le lien des deux
le bien connu des deux :
le flux du doux Esprit
à leur même mesure
et que rien ne sépare.
Car les Trois ne font qu’un.
Quoi le saurais-tu ? Non.
Lui seul sait ce qu’Il est.

Mais de ces trois la boucle
insondable et terrible
naît de leur propre ronde,
le sens ne peut saisir
l’abîme ici sans fond.
Avoue : « Echec et mat ! »
Sans lieu ni temps ni forme
cet anneau merveilleux
est un jaillissement
en son point - immobile -

Ce point est la montagne
à gravir sans agir,
comprenne qui pourra !
La voie te conduit
au Désert admirable
qui au large et au loin
déployé sans limite
hors du lieu - hors du temps -
se suscite en Lui-même
parfait de Son seul Être.

Une page recto seul, papier Hannemühle 300gr. 54x76cm. - 88ex.

Désert Tu es le Bien

par aucun pied foulé
jamais le sens créé
ne saurait y aller :
c’Est (personne ne sait)
c’Est ici et c’Est là
c’Est loin et c’Est bien près
c’Est profond et c’Est haut
et si c’Est donc ainsi
ce n’Est ni ça ni ci.

C’Est lumière et clarté
c’Est aussi la ténèbre
l’innomé - l’inconnu -
libéré du début
qui échappe à la fin,
c’est en paix qu’Il se tient
vêtu de nudité.
Qui connaît Sa maison ?
Ah ! Qu’il en sorte enfin
et nous dise Sa Forme.

Deviens comme un enfant,
rends - toi sourd et aveugle !
Car ton être lui-même
doit devenir le rien,
dépasse être ou néant !
Délaisse lieu et temps
et quitte les images !
Trouve au sentier étroit
(sans le vouloir chemin)
l’empreinte du Désert.

Eloigne - toi mon âme
puisque Dieu est dedans !
Que sombre tout mon être
en ce Dieu de non-être,
dans Son fleuve sans fond !
Alors - si je Te fuis -
c’est Toi qui viens à moi.
Si je deviens ma perte
c’est Toi seul que je trouve,
Toi le Bien sans mesure !

Traduction : Antoine de Vial
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Voir la présentation sur la revue Narthex
"Granum Sinapis" (Grain de Sénevé) est un témoignage de la connaissance intuitive propre au mystique. Ce poème, né dans la vallée du Rhin au quatorzième siècle, est le seul poème attribué sans nul doute à Maître Eckhart. Rédigé en Haut-Allemand, l'auteur a ainsi confié à la langue commune le soin de véhiculer jusqu'à nous ce joyau. Dante, à pareille époque, fit de même en choisissant l'italien pour confier au " plus ordinaire " le soin d'accueillir, préserver, voiler et transmettre les traces du " plus Haut "! Cette traduction est celle d'un prêtre-poète – Antoine de Vial - qui fit déjà celle du " Cantique des Créatures " montrant ainsi que la rigueur de la poésie permet à la théologie d'effectuer sa percée. Au regard de chaque strophe figure la composition originale du manuscrit Hs.K1222 de la Landesbibliothek de Karlsruhe. De dimension modeste (8x6 cm) pour être tenu d'une main, il a été choisi pour la qualité de sa calligraphie. Cette mise en page sur une feuille recto de l’ensemble du poème est une variante réalisée à partir des éléments constituant le livre (22x27cm) intitulé «Granum Sinapis» conçu et réalisé dans mon l'atelier : 77 Grand'Rue à Neauphle-le-Château au printemps de l'an 2000 et tiré à 88 exemplaires avec des illustrations typographiques imprimées à la main. La numérotation de cette présentation sur feuille (54x76cm) fait partie de l’ensemble des 88 exemplaires cité plus haut. À cette suite qui se présente donc de deux manière différentes, s’ajoutent 18 exemplaires du livre avec en frontispice une eau-forte polychrome numérotés de I à XVIII et 12 exemplaires de Chapelle numérotés HC de 1 à 12 dont un pour la Bibliothèque Nationale de France. L’ensemble constituant l’édition originale de cette traduction.