LE GRAIN DE SENEVÉ
Dans le commencement
(cela passe le sens)
là jaillit le Verbe
trésor inépuisable
aurore de l’aurore !
Ô le cœur d’un tel Père
qui de sa propre joie
tire le flot du Verbe
mais Le garde en son sein
ce Verbe ! ô vérité !
Désert Tu es le Bien
par aucun pied foulé
jamais le sens créé
ne saurait y aller :
c’Est (personne ne sait)
c’Est ici et c’Est là
c’Est loin et c’Est bien près
c’Est profond et c’Est haut
et si c’Est donc ainsi
ce n’Est ni ça ni ci.
Des deux se noue un fleuve,
où coule amour et feu
formant le lien des deux
le bien connu des deux :
le flux du doux Esprit
à leur même mesure
et que rien ne sépare.
Car les Trois ne font qu’un.
Quoi le saurais-tu ? Non.
Lui seul sait ce qu’Il est.
C’Est lumière et clarté
c’Est aussi la ténèbre
l’innomé - l’inconnu -
libéré du début
qui échappe à la fin,
c’est en paix qu’Il se tient
vêtu de nudité.
Qui connaît Sa maison ?
Ah ! Qu’il en sorte enfin
et nous dise Sa Forme.
Mais de ces trois la boucle
insondable et terrible
naît de leur propre ronde,
le sens ne peut saisir
l’abîme ici sans fond.
Avoue : « Echec et mat ! »
Sans lieu ni temps ni forme
cet anneau merveilleux
est un jaillissement
en son point - immobile -
Deviens comme un enfant,
rends - toi sourd et aveugle !
Car ton être lui-même
doit devenir le rien,
dépasse être ou néant !
Délaisse lieu et temps
et quitte les images !
Trouve au sentier étroit
(sans le vouloir chemin)
l’empreinte du Désert.
Ce point est la montagne
à gravir sans agir,
comprenne qui pourra !
La voie te conduit
au Désert admirable
qui au large et au loin
déployé sans limite
hors du lieu - hors du temps -
se suscite en Lui-même
parfait de Son seul Être.

Traduction
Antoine de VIAL
Eloigne - toi mon âme
puisque Dieu est dedans !
Que sombre tout mon être
en ce Dieu de non-être,
dans Son fleuve sans fond !
Alors - si je Te fuis -
c’est Toi qui viens à moi.
Si je deviens ma perte
c’est Toi seul que je trouve,
Toi le Bien sans mesure !